C’est là que nous avions rendez-vous avec Michel Tarazona, le fondateur de la compagnie Kinesferadanza. Tout ce que je savais sur lui est qu’il organisait des ateliers de danse avec des personnes handicapées. De la danse inclusive, dans le jargon.

A 15h30, notre mini-bus arrive dans une bourgade sortie de terre il y a quelques années. Lima, 10 millions d’habitants, soit 30% de la population du Pérou, ne cesse de repousser ses limites. Les nouveaux habitants s’installent sur les collines désertiques qui entourent le cœur historique de la ville. Comme ici à Pachacutec. Les hauts-parleurs annoncent le début du cours, le 5e de la saison. Les habitants commencent à arriver dans la modeste salle communale, faite de planches de bois : un jeune homme en fauteuil, poussé par sa maman sur le chemin de pierre et de terre, une femme en béquille… mais aussi des mères de famille avec leurs enfants, une vielle femme au sourire édenté, une quinquagénaire obèse, etc. Au total, une trentaine de personnes, de tous âges et de toutes conditions physiques, auxquels se sont joints une poignée de jeunes volontaires françaises, invitées par Michel. Pour lui, m’expliquera-t-il plus tard, l’inclusion ne se limite pas au fait de faire danser ensemble valides et handicapés, mais à l’ouverture de la danse à tous.
La séance commence par quelques échauffements, dirigés par Rogger Cornejo, un jeune tétraplégique de 19 ans, membre de la compagnie Kinesferadanza, capable de bouger la tête et le haut de son corps. Puis Michel invite les participants à lancer une balle imaginaire, à imiter une baudruche en train de se gonfler ou de se dégonfler… L’enchaînement des exercices les amène peu à peu à composer des figures ensemble, puis à deux. Chacun des membres du duo doit adopter une posture répondant à celle proposée par l’autre, et donc à investir les espaces offerts par ce corps. Le résultat est loin d’être toujours esthétique, mais cet atelier me donne des frissons de bonheur. Impossible pour moi d’y participer car Laurent, mon collègue, filme la scène, pour l’un de nos portraits. Mais l’engagement des participants et l’élan commun qui rassemble ces gens si différents me donne la chair de poule. Cela tient beaucoup, à mon avis, à la personnalité de Michel, qui sait libérer les gens, les mettre à l’aise, en confiance, pour qu’ils dépassent leurs inhibitions. Sa bienveillance est marquante. C’est beau et fort.


Dimanche 23 septembre

Jour de relâche à Lima : pas de tournage. Dommage. A côté des émotions vécues ces derniers jours, une journée de balade dans la capitale péruvienne paraît presque terne. J’exagère un peu, car j’ai vécu quelques moments sympas aujourd’hui : un footing matinal sur le front de mer ; un déjeuner de ceviches – du poisson cru mariné dans un jus de citron pimenté ; un concours de hip-hop dans les rues de Magdalena, un quartier de Lima, etc. Mais rien de comparable avec la richesse des journées de travail, qui nous amènent à vivre de très belles rencontres (je me rends compte que je ne vous les ai pas toutes racontées).

Le Pérou est le pays où je suis allé qui offre le plus fort contraste entre certaines zones rurales et certains quartiers de sa capitale : d’un côté, des conditions de vie très rudimentaire (pas de chauffage, pas toujours l’eau courante, très peu de revenus dans une économie d’auto-suffisance, etc.) ; de l’autre, la modernité du cœur de Lima, avec ses immeubles standing, ses surfeurs, ses jeunes en skate, etc. Impressionnant décalage, qui existe aussi à l’intérieur de la capitale, même, entre les quartiers qui n’ont pas grand chose à envier aux grandes villes occidentales et les faubourgs déshérités. Le grand écart.