Mais notre chemin, dans cette exploration de l'évolution du larynx, continue à nous surprendre. L'importance des aryténoïdes est insoupçonnée. Leur forme, leur longueur, l'angle qu'ils constituent avec le cartilage cricoïde dépendent de chaque espèce animale. Chez le cheval, la longueur du larynx mesure sept dixièmes du diamètre de la glotte. Chez l'homme, elle mesure trois dixièmes du diamètre de la glotte. L'explication semble simple. Les aryténoïdes servent à ouvrir largement l'espace glottique. Ils permettent d'emmagasiner l'air au maximum et très rapidement puisque c'est la glotte qui contrôle son passage. L'homme n'a pas besoin de courir aussi vite pour fuir ou attraper un prédateur. La gazelle court à 80 km/h sur une distance de 500 m, la panthère à près de 100 km/h sur une distance de 100 m. La surface glottique de la gazelle est 30 plus importante que celle de la panthère. C'est dire que la fonction crée l'organe.

S'agripper aux branches avec de fausses cordes vocales ?

Au niveau du larynx, les cordes vocales sont surplombées par des bandes ventriculaires au nombre de deux, appelées également fausses cordes vocales. Chez l'homme, leur rôle n'a qu'un intérêt phonatoire restreint. Chez la salamandre, la grenouille, le crocodile, son rôle est essentiel. Ces pseudo-valves laryngées permettent au larynx de résister à la pression de l'eau et d'éviter l'inondation pulmonaire. Chez le mammifère et plus particulièrement chez les primates, les fausses cordes vocales ont permis une meilleure utilisation des membres supérieurs : curieux, n'est-ce pas ? Les bandes ventriculaires sont surtout développes chez le gibbon, le macaque, le chimpanzé, moins chez le gorille, car il se déplace à terre et très peu de branche en branche. Pourquoi ?

Ces membres supérieurs servent à agripper les branches, à passer d'arbre en arbre. La pression abdominale exercée par la poussée sur le larynx donne une force beaucoup plus importante. Les fausses cordes vocales renforcent la puissance exercée comme quand on pousse lors d'une constipation ou que l'on soulève des poids et haltères. La respiration est bloquée, la cage thoracique s'immobilise, la force abdominale est à son maximum, la contraction des membres supérieurs est importante et très puissante. Avec l’évolution, l'homme n'a plus besoin de se suspendre par ses membres supérieurs pour se déplace de branche en branche comme les grands singes. Ici, le développement des fausses cordes vocales n'a plus de raison être. Le mouvement des membres supérieurs provoque également une contraction importante des muscles insérés au niveau des côtes et une immobilisation de la cage thoracique est nécessaire pour une contraction efficace et puissante des pectoraux. On le voit particulièrement chez l'athlète qui pratique l'haltérophilie. Au moment de la levée du poids, il contracte son larynx, bloque sa respiration, immobilise sa cage thoracique et contracte les fausses cordes vocales pour mieux isoler les poumons de la cavité pharyngée et avoir ainsi une meilleure efficacité musculaire des membres supérieurs, des muscles abdominaux et pelviens.

L'homme est le mammifère dont les bandes ventriculaires sont le moins développées dans la mesure où il ne se déplace plus de branche en branche et n'a qu'une activité terrestre. Lors de l'effort de poussée, comme chez le chanteur, le diaphragme est parfaitement contrôlé. L'inspiration s'arrête aux deux tiers pour permettre une excellente précision du muscle diaphragmatique. Ce contrôle est la clef de l'expiration vocale maîtrisée. Ainsi, si l'on était amenés à enlever les bandes ventriculaires, la puissance des membres supérieurs chez l'homme, la force de la poussée pour l'instrumentiste à vent, l'efficacité de l'exercice pour les haltérophiles seraient très légèrement diminuées. La phonation ne changerait pratiquement pas, mais on observerait une diminution de la lubrification des cordes vocales. Le nourrisson, dès les premiers jours de la vie, peut supporter son poids en grasping pendant une dizaine de secondes. II se suspend par les mains sur l'index de la mère ou du pédiatre. Ce test, dit «test grasping», est pratiqué à la maternité. C'est un réflexe archaïque. En cas d'absence de ce réflexe, soit il s'agit d'un prématuré, soit il existe un retard psychomoteur du bébé. Des le vingt-huitième jour, il peut tenir ce grasping pendant deux minutes. Ce mécanisme persiste jusqu'à environ trois mois. Pendant cette période, l'examen du larynx montre des bandes ventriculaires importantes qui vont diminuer par la suite.

Le cerf, qui n'a pas besoin de grasping, n'a pas de bandes ventriculaires. Si les chiens ont des reliquats de bandes ventriculaires, ces dernières sont pratiquement inexistantes chez l'amphibien, le reptile, l'oiseau, ou le cétacé.

L'homme va parler ou chanter

Un nouvel équilibre se crée dans le déséquilibre perpétuel. Ainsi, des sciences complexes comme la biologie, la physiologie ou la physique ont pour dénominateur commun notre patrimoine génétique : l'ADN. La continuité anatomique de l'aire cérébrale entre le grand singe et l'homme est difficilement contestable. L'apparition de la voix humaine montre une rupture violente, une mutation profonde où le gène FOXP2, gêne dit de la voix, n'explique pas tout. Ce bouleversement inclut de multiples facteurs associatifs et qui semblent indissociables. L'audition et le larynx sont intimement liés au langage. Ces deux pôles récepteur et émetteur sont l'alchimie de la voix humaine.

La commande de la voix est le nerf de l'émotion

Mais, dans notre recherche du mystère du langage articulé, plus époustouflante encore est la commande du muscle des cordes vocales. Cette commande ne dépend que d'un seul nerf : le nerf crânien n° X. II permet de moduler les cordes vocales, il les écarte pour respirer, il les ferme pour parler, il crée la voix, il peut ralentir le rythme cardiaque, augmenter notre acidité gastrique. II conjugue l'émotion et l'expression verbale. On comprend mieux pourquoi la voix trahit notre moi intérieur.

Ainsi, la voix humaine, reflet de notre pensée, n'en est aujourd'hui qu'au début de son évolution. Seuls 10% de notre cerveau sont exploités. Ce langage articulé, essence même de la communication entre les six milliards d'individus de notre planète, permet d'assimiler, de mémoriser une somme de connaissances impressionnante. Si l'homme ne parlait pas, serait-il comme ses cousins, les grands singes? C'est ce que semblent nous avoir appris les enfants sauvages.

Le souffle du primate et la voix chantée

Chez les grands singes et chez l'homme, les côtes situées au niveau supérieur du thorax conservent une certaine mobilité, alors que, chez les autres mammifères, elles sont fixes. Chez le chanteur, ou l'enseignant, cette observation est capitale. Elle va permettre un contrôle optimal de la voix de tête et de la voix de poitrine. Cette mobilité costale associée à une synergie musculaire du corps tout entier apporte au professionnel de la voix une possibilité vocale sur deux registres. Le contrôle de la pression d'air est indispensable surtout dans la voix chantée. La précision de la puissance et de la hauteur de la voix nécessite la maîtrise de l'expiration. Elle requiert également une souplesse et une élasticité non seulement de l'appareil laryngé mais également des appareils respiratoires pulmonaire, musculaire et abdominal. Lors d'un forçage excessif, on peut être amené à faire vibrer non seulement les cordes vocales mais également les fausses cordes vocales. Dans ce cas, c'est la voix de Louis Armstrong que vous aurez.

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La voix résonne et s'habille dans sa caverne intérieure

La cathédrale vocale de l'homme est unique
Elle n'est pas figée, elle n'est pas fixe ; elle est déformable, adaptable. La vibration est créée au niveau laryngé puis chemine dans l'espace aérien des résonateurs. Le voyage de la vibration commence juste au niveau de la muqueuse des cordes vocales avec les fausses cordes vocales, ou bandes ventriculaires. Elles sont symétriques et épousent les cordes vocales à quelques millimètres au-dessus d'elles. Entre elles et les cordes vocales se situent les ventricules laryngés. Ces ventricules sont minuscules : 5 mm de profondeur. Ils renforcent la vibration. Ils sont trop petits pour avoir un rôle important dans la caisse de résonance. Cependant, ils contribuent à la lubrification des cordes vocales.

Les bandes ventriculaires sont un vestige de notre évolution. Nous avons vu leur rôle et leur importance dans le chapitre sur l'évolution de la voix. Chez l'homme, les bandes ventriculaires peuvent se développer. Ainsi, si vous faites de l'haltérophilie, ces bandes ventriculaires sont particulièrement sollicitées pour créer une surpression thoracique de l'air emprisonné dans les poumons. Ce sport est fortement déconseillé chez les professionnels de la voix. Ces éléments viennent perturber le chemin de la vibration des cordes vocales car les fausses cordes vocales se musclent trop et deviennent hypertrophiées. II en va de même si vous jouez du hautbois, de la clarinette ou d'un instrument similaire. Chanteur, clarinettiste ou trompettiste c'est difficile, sauf pour Louis Armstrong. II avait un œdème et une hypertrophie des fausses cordes vocales qui lui avaient donné cette voix si particulière.